Une jurisprudence fermement établie et très suivie par les juridictions du fond, enseigne que : " Si le contrat de prêt d'une somme d'argent peut prévoir que la défaillance de l'emprunteur non commerçant entraînera la déchéance du terme, celle-ci ne peut, sauf disposition expresse et non équivoque, être déclarée acquise au créancier, sans la délivrance d'une mise en demeure restée sans effet, précisant le délai dont dispose le débiteur pour y faire obstacle "., (Par exemple : Cass. civ., 1re, 22 juin 2017, n° 16-18.418 ; Cass. civ., 1re, 22 mai 2019, n° 18-13.246 ; Cass. civ., 1re, 19 janv. 2022, n° 20-20.811 ; Cass. civ., 1re, 27 juin 2018, n° 17-18.418 ; Cass. civ., 1re, 7 mars 2018, n° 16-28.324 ; Cass. civ., 1re, 25 mai 2022, n° 20-20.513 ; Cass. civ., 1re, 8 avril 2021, n° 19-15.869 ; Cass. civ., 1re, 19 janv. 2022, n° 20-20.811 ; Cass. civ., 1re, 3 juin 2015, n° 14-15.655 ; Cass. civ., 1re, 25 mai 2022, n° 20-20.513 ; Cass. civ., 1re, 8 avril 2021, n° 19-15.869).
La formule, aussi séduisante que condensée, laisse toutefois planer une double difficulté :
1°) La mise en demeure ne doit-elle viser (et uniquement) que le délai de remédiation laissé à l'emprunteur pour couvrir les échéances impayées ?
2°) La déchéance du terme doit-elle faire l'objet d'une notification au débiteur ?
Par un arrêt du 10 novembre 2021 (Cass. civ., 1re, 10 nov. 2021, n° 19-24.386), la Cour de Cassation a clairement tranché la seconde de ces questions : " Vu les articles 1134 et 1184 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :
5. " Il résulte de ces textes que, lorsqu'une mise demeure, adressée par la banque à l'emprunteur et précisant qu'en l'absence de reprise du paiement des échéances dans un certain délai la déchéance du terme serait prononcée, est demeurée sans effet, la déchéance du terme est acquise à l'expiration de ce délai sans obligation pour la banque de procéder à sa notification ".
C'est donc l'écoulement du temps laissé au débiteur pour l'éviter qui fait acquérir au prêteur la déchéance du terme.
Ce qui rend d'autant plus ardente la première question.
Que doit contenir la mise en demeure pour permettre au créancier d'obtenir la déchéance de son débiteur sans avoir à la notifier ?
Les juristes contemporains de droit bancaire savent que pour revêtir une telle qualité, la mise en demeure ayant précédé le déchéance du terme doit évincer une interpellation suffisante du débiteur.
La décision rendue le 5 septembre 2019 par la Cour d'Appel d'Amiens dans l'affaire Cass. civ., 1re, 10 nov. 2021, n° 19-24.386 s'était précisément intéressée à cet question.
L'arrêt avait retenu deux choses :
a) " le prêteur, en procédant à l'envoi d'une lettre de mise en demeure, n'a pu dans un second temps et à défaut de régularisation dans le délai imparti, de notifier aux emprunteurs la déchéance du terme qui relève d'une décision laissée à sa propre discrétion et qui doit intervenir à une date précise et certaine ; que les lettres de mise en demeure en date du 12 mars 2009 ne peuvent donc valoir également notification de la déchéance du terme ".
C'est ce raisonnement que la Cour de Cassation a censuré dans l'affaire Cass. civ., 1re, 10 nov. 2021, n° 19-24.386
b) " il n'est produit aucune mention ni aucun décompte précis des sommes qui seraient devenues exigibles en raison d'une déchéance du terme du crédit litigieux ; que le décompte versé aux débats, en ce qu'il apparaît n'être qu'un document interne au FCT, ne retraçant au demeurant pas le calcul effectué pour parvenir à la somme réclamée de 138.900,37 euros, et les lettres d'information annuelle adressées aux cautions personnelles de 2011 à 2015, rappelant expressément que les renseignements contenus ne sont donnés qu'à titre purement indicatif, ne sauraient valablement compenser les carences de notification d'une éventuelle déchéance du terme et d'information suffisante des défendeurs quant aux sommes exigées ".
Sur ce second point, la cassation état intervenue sur le premier, la Cour de Cassation ne dit rien.
Autrement dit, reste ouverte la question de savoir si la mise en demeure doit contenir le calcul précis des sommes réclamées, et non l'indication d'un simple solde ?
Et que quel "solde" la mise en demeure permettant au créancier d'obtenir la déchéance de son débiteur sans avoir à la notifier doit elle mentionner ? : La somme des échéances en souffrance ? le capital qui serait dû si la mise en demeure n'était pas suivie d'effet ? les deux ?
La Cour d'Appel de Paris vient d'être invitée par mon excellent confrère Anne-Valérie BENOIT, à se prononcer sur cette importante question.
Ce qu'elle a fait - certes, dans le cadre d'un contrat de crédit complexe indexé sur le swap de change de l'Euro avec une monnaie étrangère - en refusant de qualifier de "mise en demeure permettant au créancier d'obtenir la déchéance de son débiteur sans avoir à la notifier un courrier d'injonction qui ne mentionnait pas le montant du capital qui serait dû si la mise en demeure n'était pas suivie d'effet.
Les Magistrats qui siègent "sous l'horloge" ont été parfaitement clairs :
" En outre, aucune de ces mises en demeure préalables ne mentionnait, à titre d’information, le montant du capital restant dû à la date de la lettre, et celui-ci était susceptible d’évolution chaque mois en fonction du taux de change. En effet, le contrat de prêt stipule que l’amortissement du capital évoluera en fonction des variations du taux de change appliqué aux règlements mensuels de l’emprunteur. Par conséquent, l’absence de notification du prononcé de la déchéance du terme met en l’espèce le débiteur dans l’ignorance du montant des sommes exigibles, notamment le capital restant dû, d’autant plus que le tableau d’amortissement annexé à son contrat de prêt est établi en francs suisses ".
Selon le Juge Souverain, et pour faire bref, si le créancier est dispensé de notifier la déchéance du terme, il ne peut se dispenser de préciser dès la stade de la mise en demeure le montant de capital qui serait dû si la mise en demeure n'était pas suivie d'effet.
Ce d'autant plus que dans les contrats dits "Helvet Immo", les vicissitudes du change € contre Chf rendent particulièrement complexe la détermination de ce capital.
Selon la Cour, une mise ne demeure qui n'indique pas le montant du le capital qui serait dû si la mise en demeure n'était pas suivie d'effet ne vaut pas "mise en demeure" permettant d'acquérir la déchéance du terme à l'expiration du délai laissé à ce dernier pour l'éviter.
En regard des termes de l'arrêt rendu dans l'affaire Cass. civ., 1re, 10 nov. 2021, n° 19-24.386 c'est un sérieux progrès dans la protection des consommateurs-emprunteurs.
C'est un casse tête pour la banque, dont les matrices de courriers sont préparées par des informaticiens qui ne sont pas juristes, à qui toutes ces subtilités jurisprudentielles peuvent échapper.
Mais l'arrêt résiste d'avantage, et prend le contre pied de celui que nous avons déjà abondamment cité (Cass. civ., 1re, 10 nov. 2021, n° 19-24.386) :
" D’ailleurs, l’arrêt de la Cour de cassation invoqué par la société BNPPPF a été rendu, par la première chambre civile, dans le cadre d’une assignation en paiement, laquelle vaut mise en demeure de payer la totalité des sommes exigibles. Mais en l’espèce, le créancier doit justifier d’une créance exigible avant d’engager une mesure d’exécution, de sorte qu’il ne peut être dispensé d’informer le débiteur de l’exigibilité de la dette et de son montant total, par la notification de la déchéance du terme ".
Les termes sont choisis, et la résistance est voulue.
Ce que cherche manifestement à indiquer la Cour d'Appel de Paris - comme l'avait fait en son temps celle d'Amiens - à la Cour de Cassation (sachant que l'arrêt sera frappé de pourvoi), c'est que si l'on doit admettre que lorsqu'une mise demeure, adressée par la banque à l'emprunteur et précisant qu'en l'absence de reprise du paiement des échéances dans un certain délai la déchéance du terme serait prononcée, est demeurée sans effet, la déchéance du terme sera acquise à l'expiration de ce délai sans obligation pour la banque de procéder à sa notification, c'est à la condition que ladite mise en demeure présente les caractéristique d'une véritable interpellation, et précise :
a) Le montant des échéances impayés à date ;
b) La méthodologie pour les couvrir (ce que 'indiquent jamais les courriers de mise en demeure) à savoir un IBAN ou une adresse internet pour payer par CB ;
c) Le délai pour éviter que la déchéance intervienne sans notification ;
d) Le montant de capital qui serait dû si la mise en demeure n'était pas suivie d'effet ;
e) Le montant calculé de la pénalité de déchéance, de manière à ce que l'emprunteur puisse mesurer ses risques financiers ;
La Cour d'Appel de Paris n'est pas allée aussi loin, mais je gage qu'elle le fera.
Et qu'un ange passe ...
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